La confiance, nouveau management nécessaire du télétravail
Lukas est fort. Il est rapide. Il est smart. Il fait souvent mouche en réunion. En plus, il est super sympa dans ses relations pro, il se montre amical, décontracté. Voire même très décontracté vestimentairement, avec son short même par -15°. Lukas, je l’aime vraiment bien humainement. Mais au fond, il me fait peur. Son intelligence et son aura me menacent secrètement. Je préfère ne pas lui dire totalement le fond de ma pensée. Il pourrait s’apercevoir que je suis moins compétente qu’il ne le pense, me juger devant autrui. Ou bien, parce qu’il est brillant, utiliser les infos que je lui fournis mieux que je ne le ferai moi-même. Bref, avec Lukas, même s’il est sympa, mieux vaut avancer masqué…
On connaît tous un« Lukas ». On a tous ressenti une certaine défiance envers un ou plusieurs collaborateurs, même les plus sympas. Mais qu’on soit managé ou manager, cette crainte est la seule et véritable menace pour nous dans le boulot… Elle génère toujours un impact négatif individuel ou collectif sur l’ambiance, et surtout sur la performance.
La confiance, le bon carburant de la performance
Une étude réalisée en 2002 par le cabinet de conseil spécialisé en humain et gestion Watson Wyatt montre que :
le rendement total pour les actionnaires dans les organisations à forte confiance est près de trois fois supérieur à celui des organisations à faible confiance.
Vous l’avez compris, la confiance n’a rien de cosmétique. Elle est aussi nécessaire que l’huile de moteur dans une voiture. Quand la jauge confiance est à sec, le moteur casse.
Cercle vicieux ou vertueux : l’effet Pygmalion en Management
Pourquoi la confiance entre collaborateurs est-elle si importante ?
Parce qu’elle nous renvoie à des notions de première nécessité comme la sécurité et la fiabilité. Il suffit de remplir la jauge confiance pour se sentir pousser des ailes. C’est « l’effet Pygmalion ». La confiance, miroir grossissant, fonctionne comme un mécanisme amplificateur. Un jugement négatif cassera la confiance d’un managé, celui-ci ne tardera pas à manquer d’estime de lui, de motivation. Il cessera d’agir plutôt que d’échouer. À l’inverse – et vous l’avez peut-être déjà expérimenté un jour - un jugement positif du manager renforcera la confiance du collaborateur, décuplera littéralement son enthousiasme, ses bonnes idées, et son impact. Rien de moins que ça.
Comment est-ce possible ?
- D’abord parce que la confiance permet de clarifier les intentions de chacun. C’est une base sur laquelle la relation peut s’appuyer pour être qualitative et durable. Un bon niveau de confiance permet de mettre du liant dans les relations. Mais surtout, cela fait tomber d’un coup la paranoïa et les fantasmes qu’on entretient sur les autres. On s’aperçoit souvent qu’on n’est pas un obstacle pour l’autre et qu’il n’y a aucune raison qu’il se mette en travers de notre chemin.
- Ensuite parce qu’une fois que les fantasmes sont déjoués, et qu’on a vérifié qu’on n’avait pas l’intention de se nuire, un bon niveau de confiance mutuelle permet alors de ramer ensemble dans le même sens. Les intentions peuvent devenir convergentes. On découvre qu’on est des alliés, que « si je t’aide, je m’aide » et qu’on peut se rendre des services et faire ainsi levier.
Le cercle vertueux de la confiance entre collaborateurs
Confiance -> liberté -> prise de décision éclairée -> performance
Pour aboutir à une bonne confiance, il faut aussi accorder une bonne dose de liberté. L’un ne va pas sans l’autre. Sans confiance, impossible de sortir de sa fiche de poste ou de prendre des initiatives. On est coincé dans sa routine. À l’inverse, la confiance mutuelle permet une bonne liberté d’action et une prise de décision éclairée.
L'exemple de Christine, agent d'entretien chez Favi
Prenez l’exemple de cette employée de chez Favi, une entreprise picarde de sous-traitance pour l’industrie automobile de 320 personnes. Un client appelle l’usine vers 20h30 un soir, suite à un quiproquo : personne n’avait compris qu’il arrivait aussi tard, il n’y a personne pour l’accueillir à l’aéroport.
C’est Christine, une agent d’entretien qui répond au téléphone. Il n’y a personne d’autre alors dans l’usine. Elle prend seule la décision de faire 300 kms aller-retour avec une voiture de la société pour aller chercher le client et l’installer à l’hôtel, avant de retourner terminer son ménage. Il va de soi que l’accueil des clients la nuit n’est pas dans sa fiche de poste d’agent d’entretien. Mais cette employée bénéficiait de suffisamment de confiance et de liberté (ici concrétisée par l’accès libre aux clés des voitures de la société) pour se dire d’emblée que c’était la seule solution pour aider le client.
Si elle avait subi dans son travail des brimades, si chacune de ses initiatives avait été accueillie par « tiens t’en à ton boulot », ou « comment peux-tu savoir comment accueillir un client alors que tu es agent d’entretien », elle n’aurait pas osé sortir de sa fiche de poste pour faire le bon choix.
Or le plus généralement, dans les entreprises, de nombreux échelons hiérarchiques se font la courte échelle. Et pour pallier le manque de confiance, on secrète un max de process. Le boss donne les objectifs. Les objectifs sont ensuite déclinés par étages, et il va de soi qu’il est recommandé de ne faire que ce qui est inscrit dans sa feuille de route. En gros, grâce au process, pas besoin de la confiance. Sauf que le process est pervers. Car il ne prend pas en compte les imprévus. Dès lors, il suffit que les objectifs soient mal définis au départ, ou pas à jour, que le contexte ait changé (irruption d’un concurrent agressif sur le marché ou par ex, chez Favi, arrivée d’un client à minuit), pour qu’un service ou une entreprise entière se retrouve comme le Titanic devant l’iceberg. Trop lourd pour virer de bord à temps.
Mais alors comment favoriser la liberté et la transparence, un peu comme chez Favi ?
Comment (re)remplir la jauge de la confiance ?
Premier point important : il ne peut y avoir de salut dans le groupe sans un système apprenant. En d’autres termes, si on oppose une personne ou un groupe compétent à un système déficient qui n’assure pas sa mission de feedback, d’écoute et d’organisation adaptée, la confiance entre collaborateurs et la performance collective et individuelle sombre. Le système doit d’abord porter ces valeurs, avant de les transmettre à ses salariés.
Les collaborateurs peuvent ensuite travailler à créer de la confiance entre eux. Voici quelques smart tools à ajouter à votre boite à outils management.
Exercice 1 : La grille de Richard Barrett
Vous l’aurez compris, la confiance est à distinguer de la pure affinité.Pour avancer dans la confiance, il est nécessaire de retrouver une parfaite transparence. Et ce, grâce à la grille de Barrett. Richard Barrett, auteur sur le développement du leadership, les valeurs, la conscience et l'évolution culturelle dans les affaires et la société, a mis au point des outils dédiés à la compréhension des ressorts de la motivation individuelle et collective, pour faire évoluer notamment la cohésion d’organisations.
Sa grille se décompose en deux colonnes :
- À gauche les qualités personnelles (souvent ce qui est inné, de l’ordre du caractère, soit le degré naturel de transparence, d’authenticité d’honnêteté, de tripes), elles sont le reflet de votre intérieur, de votre intention, et du degré d’intégrité que vous affichez dans vos relations avec les autres. Celles-ci dépendent principalement du niveau de développement de votre intelligence émotionnelle et de votre intelligence sociale.
- À droite, les qualités professionnelles et mesurables (soit l’acquis, c’est-à-dire, la performance, le degré d’expertise…). La compétence est lereflet de votre extérieur, de vos capacités et des résultats que vous obtenez dans votre rôle. Celles-ci dépendent principalement du niveau de développement de votre intelligence mentale, de votre éducation et de ce que vous avez appris pendant votre carrière professionnelle.
L’exercice
En binôme, en se référant aux cases de la grille de Barrett, chacun doit évaluer en quelques minutes, quels sont les 5 mots qui correspondent le mieux à ses valeurs personnelles, les 5 mots qui reflètent le mieux sa culture d’entreprise et les 5 points qu’il peut améliorer. Puis chacun prend quelques minutes pour évaluer l’autre sur les mêmes critères. Puis les collaborateurs échangent leurs conclusions.
« C’est un bon check dans la relation avec un collaborateur, ou dans le lien de confiance manager-managé, décrypte Violette. Cela permet de dire ce qu’on croyait être évident, des compliments comme « Tu organises les choses à fond, il y aune vraie performance dans chaque chose que tu entreprends », mais aussi éviter d’entretenir le flou sur les attentes. Le managé aussi pourra exprimer ses besoins et poser des demandes claires. Revenir sur des situations passées concrètes, déjouer des batailles d’égo, ou recoller de la confiance égratignée. Certains sont trop dans les cases « qualités perso » ou trop dans les « qualités pro » et du coup ne se comprennent pas. Personnellement, cela m’a aidée à bâtir une bonne relation avec mon premier managé Tiago. Au bout de 2 mois, on a fait ensemble l’exercice. Moi, je projetais qu’il m’attendait sur des résultats purs alors que lui m’attendait sur ma sincérité… On a pu anticiper des problèmes dans une relation qui allait se dégrader par manque de savoir des attentes respectives. »
À la fin, demandez à chaque membre de l’équipe de préciser quels éléments de la matrice où il est le moins compétent et ce qu'il propose de faire pour s'améliorer. Cet exercice rend toute l’équipe responsable de l’amélioration du niveau de confiance.
Exercice 2 : La chaise chaude
Deuxième exercice hyper efficace : la chaise chaude. Et elle chauffe vraiment ! En petits groupes de 6 à 7 personnes, chacun s’assoit à tour de rôle sur la chaise du milieu. Les autres disent au « chaiseux »ce qui leur a plu et moins plu en bossant avec lui dans la dernière période, mais aussi ce en quoi ils peuvent l’aider et ce qu’il peut faire pour aider les autres. Par exemple : “Ce dont je suis fier, là où je t’ai trouvé bon dans ton travail depuis un mois” ou “Ce qui m’a surpris dans la façon dont tu gères ton job, tes interactions, etc." Enfin,“Mes demandes pour que l’on fonctionne mieux ensemble” ou “Ce que je peux te proposer de spécifique pour t’aider”.
La personne sur la chaise n’intervient pas, prend des notes et lorsque tous les donneurs ont parlé, elle peut alors exprimer ses ressentis émotionnels. Évidemment, la consigne numéro 1, c’est la bienveillance et l’authenticité. L’écueil, c’est que les paroles tièdes n’ont jamais fait grandir personne. Une bonne méthode pour parvenir à ce juste milieu est de se demander : "Est-ce que la façon dont je lui dis ça, va le/la faire grandir ?" Se demander aussi ce qui ferait que je serai heureux de ma relation avec il/elle à la fin de l’exercice. De son côté, le chaiseux doit rester humble et ouvert sans chercher à se justifier mais en accueillant ces ressentis censés faire évoluer la relation.
La confiance comme clé de la performance collective
Selon une étude nord-américaine, la compétence individuelle n’intervient qu’en sixième position comme facteur de performance collective… La confiance dans un groupe sera donc particulièrement nécessaire pour activer la mise en commun des perceptions, de confrontation, de négociation et de délibération des différentes subjectivités. Chaque membre d’un groupe fera confiance à un individu pour sa capacité à la réciprocité, à l’écoute, à offrir un feedback bienveillant, à donner des encouragements, à maintenir un bon niveau de transparence sur les informations et les intentions, à tenir ses engagements et ses délais.
Alors, pensez à votre bonus de fin d’années, et filez inviter le bureau voisin à prendre un café !
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