L'art du recrutement à distance : nos conseils

Trouver le bon fit,  le bon match… c’est ce que souhaite tout bon RH lors de son processus de recrutement. Être sûr que la cohésion se fera entre les collaborateurs d’une même équipe. Que le nouveau venu - dernier onboardé - saura vite s’intégrer et devenir moteur par son enthousiasme, son engagement, sa niaque.

Dans cette période étrange où 3 milliards de personnes dans le monde se sont brutalement retrouvées confinées, où la plupart des entreprises tentent de réorganiser en urgence leur activité en télétravail, les recruteurs, eux, continuent vaille que vaille de trier les candidatures, de faire passer les tests d’évaluation des compétences techniques, de préparer « l’après ». Mais comment juger du fit et des valeurs à distance ?

Chez Ignition, cela fait déjà un an que nous avons mis en place un process spécifique, pour nos candidats en interne, loin des entretiens normaux et des convenances. Violette, Country Manager, vous raconte comment se déroule le tout tout tout dernier entretien avant embauche... depuis Lisbonne !

Avant d’évaluer le fit, il faut balayer tout potentiel malentendu !

 

« Évaluer le fit à distance, c’est la dernière étape habituelle de notre process de recrutement interne chez Ignition. Quand le candidat arrive à cette phase, il est déjà passé par tout notre filtre classique, mis en place pour les recrutements externes, destiné à nos entreprises partenaires. Il bascule alors en recrutement interne, si le coach nous le recommande chaudement, ou si le candidat lui-même demande à postuler chez Ignition.

 

Avant de m’envoyer ce candidat, le coach se pose toujours deux questions :

  • « Est-ce que je partirai en vacances avec cette personne ? »
  • « Est-ce que j’ai envie de partager plus qu’un bureau ? »

 

Sans mauvais esprit, chez Ignition, on souhaite avant tout recruter des gens avec qui on va prendre notre pied, des candidats surmotivés pour nous rejoindre ! C’est au coach de décider si le candidat a une bonne chance de fitter. Si c’est « oui », il “transfère” alors le candidat vers le manager qui a un besoin de recrutement en interne, pour qu’il lui réexplique bien les modalités, qu’il clarifie à nouveau le poste et le salaire, pour balayer toute forme de malentendu avant de juger si le fit est complet.

Recrutement : comment évaluer le fit à distance ?

L’entretien Valeurs : défi et enjeux

 

Le candidat passe alors dernier entretien avant le « Go » ou le «No go » final : l’entretien « Valeurs ». Il dure au minimum une heure. Mais souvent, quand ça matche bien, on peut aller jusqu’à une heure et demi – deux heures sans problème.

 

Avant, notre CEO, Caroline, s’en chargeait elle-même. Mais depuis qu’Ignition compte plus de 50 salariés, cette organisation est désormais trop lourde et compliquée. Avec Lucas, Co-fondateur, nous nous partageons aujourd’hui la responsabilité de cet entretien crucial. La difficulté pour moi, étant de faire cet entretien à distance, puisque j’ai ouvert un bureau Ignition à Lisbonne…

 

Notre but, c’est d’évaluer à quel point le candidat est sensible à nos valeurs, tout en nous gardant bien de recruter une armée de clones. Il nous faut donc distinguer nos valeurs personnelles de celles d’Ignition, ce qui est assez difficile, car elles sont souvent mélangées. Et conserver une certaine distance pour ne pas faire tomber dans « Est-ce que je fit avec lui » plutôt que « Est-ce qu’il fit avec les valeurs d’Ignition » ?

  

En mode blind date : pourquoi opter pour un entretien aveugle ?

 

Certes, je pourrais tout à fait faire cette évaluation en conférence visuelle depuis Lisbonne. Mais l’option « appel simple » m’est vite apparue comme plus juste. En mode blind date, le candidat et moi partons tous les deux avec les meilleurs atouts. Je vous explique pourquoi :

  • De mon côté, je ne connais pas cette personne et je ne vais pas travailler avec elle (c’est futur manager qui me l’envoie), je suis donc 100% extérieure. Pour être encore plus impartiale, je ne regarde même pas son CV. À ce stade, ce dernier, ainsi que les compétences techniques, ont déjà été décortiqués par le manager qui m’a envoyé ce candidat. En me gardant de jeter un œil au CV, j’évite tout a priori négatif (si le candidat fait un art martial très violent ou qu’il est à fond sur des sujets scientifiques tordus) ou d’emblée trop positif (si le candidat a fait du théâtre, a monté une association...).

  • J’enlève tous les biais discriminants (photos, CV, visio conf), pour ne garder que les réponses objectives du candidat. En restant vierge de tout contact visuel avec lui, ma perception n’est pas parasitée ni interrompue mentalement par des détails ou des projections. Mon esprit est totalement focalisé sur ses réponses. Je ne vois pas s’il se gratte les cheveux, s’il a mis un costume étrange, s’il sourit trop, s’il est crispé ou s’il semble avoir 16 ans… aucune convention sociale physique n’interfère. Comme le candidat ne me voit pas non plus, il est lui aussi 100% concentré, il ne tente pas d’interpréter pourquoi mon regard se porte à gauche hors du champs, ou d’analyser malgré lui, le cadre photo accroché au mur derrière moi.

  • Enfin, je prends des notes, mot à mot, pour conserver l’esprit de cet entretien et faire un feed back parfaitement fidèle au manager. Ainsi en format hyper serein - bien loin des pièges classiques de cet exercice - l’entretien à l’aveugle dévoile une grande richesse de réponses. Or visuel, les silences se posent tranquillement. En face à face, il y aurait une urgence à répondre quelque chose, vite, ou de la gêne, un besoin de garder coûte que coûte une contenance. En blind date, on décèle plus sûrement s’il y a l’étincelle.

Comment évaluer les valeurs à distance ?

Recrutement : comment évaluer le fit à distance ?

Il ne s’agit pas de recracher un discours scolaire. Bien sûr, on se doute que le candidat aura repéré nos 5 valeurs sur le site d’Ignition. Ce qui m’intéresse, c’est son ressenti sur ce qu’on renvoie et ses expériences passées en lien avec ces valeurs. Parfois, quand des candidats citent des valeurs d’Ignition, ce ne sont pas toujours celles qu’on s’est choisies (Faire de son mieux), mais elles sont voisines comme « L’exigence » ou « La performance »… Comme par hasard deux valeurs longuement débattues et qui nous ont scindé en deux camps distincts lors de notre dernier séminaire chez Ignition pour redéfinir nos valeurs.  Amusant !

 

Je soumets plusieurs questions au candidat :

  • Pourquoi postules-tu chez Ignition ? Qu’est-ce qui t’attire ? 
  • Qu’as-tu perçu de nos valeurs lors des différentes phases de ton recrutement ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas bien, d’après toi, dans notre process ? Qu’est-ce que tu changerais dans les différentes étapes ? Là, je cherche le sens critique. Mais aussi, les remarques judicieuses pour nous améliorer.
  • Quelles sont tes peurs éventuelles face au job ? J’essaye aussi d’amener de la vulnérabilité pour déceler les alertes sur « le répétitif».
  • Que penses-tu apporter de ton expérience précédente ? Que ferais-tu chez nous si tu n’étais pas sales ? Je challenge le candidat sur sa capacité à capitaliser sur ses forces, à savoir pivoter mais aussi, à bien cerner les besoins d’Ignition.
  • Qu’attends-tu d’un manager ? J’évalue sa prise de recul sur le rôle d'un manager et son fit potentiel.
  • Pour quelle cause aurais-tu envie de te battre ? Et comment comptes-tu t'investir dans cette cause de façon concrète ? Quel est ton rapport au travail ? Je sonde un peu ses tripes, j’essaye de voir si le candidat adhère de près ou de loin à notre why, à notre mission. 
  • Si tu n'avais pas à travailler, que ferais-tu ? C’est plus de la curiosité, une façon détournée de comprendre ce qui l'anime sans demander "c'est quoi tes hobbies".
  • Qu'est-ce que tu ne veux plus retrouver demain, qui t'as hérissé le poil dans tes expériences précédentes ? Il s’agit de vérifier si le candidat ne nous rejoint pas juste par pur "rejet". 
  • Comment aimes-tu et veux-tu apprendre ?
  • Comment vas-tu prendre ta décision entre tes différentes opportunités ? Comment poses-tu un choix d'habitude ?

 

Ça c’est la mise en bouche.

 

Puis on passe à une étape plus concrète : je redis nos 5 valeurs, une à une. Unir, Bienveillance, Faire de son mieux, Être vrai et Rendre libre. Elles servent de socle très concret pour faire réagir le candidat. Il doit me donner un exemple où il a pu percevoir les effets de chacune de ces valeurs dans sa vie professionnelle ou personnelle. Je peux aussi lui donner un exemple à moi pour lui montrer et le mettre à l’aise. Ce n’est pas un format piège, mais plutôt une discussion philosophique.

Objectif : trouver un fil à tirer et à développer avec lui, grâce à son anecdote. Chercher sa capacité à se questionner, son recul sur le fait que tout n’est pas blanc ou noir. A rebondir. Une fois que le candidat répond à ma question, je vais chercher un peu de complexité. Je creuse: “Penses-tu que cette valeur a des limites?” Si ça ne mord pas, je vais donner un exemple… Par exemple: “Chez Ignition, un manager disait toujours «Bravo » à son managé, même quand il était mauvais, par souci de bienveillance ; résultat, quand son managé l’a appris incidemment par l’équipe, il n’a plus du tout eu confiance. Le manager n’avait pas compris que la Bienveillance n’était pas une notion tiède et qu’elle n'excluait évidemment pas l’exigence.” Puis, je demande au candidat : ”Qu’est-ce que cette anecdote t’évoque? Est-ce que tu identifies d’autres limites? ”

 

Toutes ces questions m’aident à m’assurer :

  • que le candidat a super envie de nous rejoindre,
  • et que le fit fonctionne dans les deux sens.
Recrutement : comment évaluer le fit à distance ?

Mes préceptes :

  • Toujours laisser la décision finale au manager ! Bien sûr, je lui donne mon sentiment, mais c’est à lui de décider.
  • Quand il y a un doute, c’est qu’il n’y a pas de doute !  C’est que c’est non ! Et c’est toujours moins douloureux dans l’immédiat qu’un an plus tard, quand ça devient une triple courbe du deuil, pour le manager, pour le managé qui part et pour les équipes qui restent…
  • En recrutement, la flemme vous revient toujours en boomerang ! Ceux qui s’accommodent d’un candidat “sans plus”, dans le but d’éviter de relancer tout un process de recrutement, le payent toujours entre deux mois à un an plus tard...

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