Claire Schults, co-fondatrice de Moodz, 36 ans :
"Je n’ai pas profondément changé moi-même, on ne change pas qui on est… Mais ma victoire, c’est d’avoir changé de vie !"
Dans l’expérience que je vais raconter ici, ce qui compte, c’est le rapport que j’ai longtemps entretenu au boulot et aussi à moi-même. Comment je suis parvenue à trouver l’accord parfait entre qui je suis, mes valeurs profondes, et ma façon de travailler.
Mon histoire, c'est d'abord celle d'une chute.
Comme dans le film La Haine. Le type rêve qu’il tombe du haut d’un immeuble. À chaque étage qui le rapproche un peu plus du bitume, il répète : « Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… ». J’ai connu cette chute vertigineuse. Du haut de mon job chez Golman Sachs, du haut de mon niveau d’exigence et d’excellence grisant de spécialiste en stratégie de levées de fonds. Pendant 8 ans, j’ai été on top of the world, au faîte de la finance mondiale, au firmament de responsabilités énormes, avec des clients hedge funds à Tokyo, Hong Kong, Singapour, New York, Londres et Paris…
Cela ne collait pas avec moi. Mais comme j’avais tout pour être heureuse, c’est que je devais l’être, forcément... J’étais en pilotage automatique. Programmée sur un logiciel interne sans sortie de route possible. Comme dans La Haine, en cas de doutes, il suffisait deme rassurer, d’atténuer ma propre réalité. En répétant ce mantra. « Jusqu’ici tout va bien… » Je me levais à 5h45 et je sortais du boulot entre 20het 22h. « Jusqu’ici tout va bien ». J’étais esclave du jetlag que m’imposait un portefeuille clients éclaté sur de multiples fuseaux horaires. « Jusqu’ici tout va bien. » On me demandait plus ? Je donnais encore plus ! « Jusqu’ici tout va bien »…
"Les causes de mon burn out, il y en a mille. Mais c’est l’histoire de la reconstruction du sens que je veux raconter aujourd’hui. Comment on peut prendre un nouveau départ. Pour vivre, cette fois, pleinement."
Un burn out, une perte globale du sens des actions et de la vie ?
Pour que vous compreniez bien, un burn out, au-delà de l’épuisement physique, c’est profondément une crise de valeurs, une perte globale du sens des actions et de la vie, une remise en question totale de qui l’on est… Il n’intervient pas tout de suite, ni du jour au lendemain. C’est comme un train lancé à toute vitesse : ça prend du temps à stopper. Et plus on a attendu, ignoré les signaux d’alerte, et plus les dégâts sont considérables. Je me suis longtemps perçue comme quelqu’un qui « ne lâche jamais rien », quelqu’un de solide, de terriblement efficace, à l’épreuve des balles, à qui l’on peut confier toujours plus, quelqu’un qui peut encaisser. Bien sûr, aucun être humain, à l’aube de sa vie, ne songe à développer de pareilles « qualités ». On se persuade soi-même de devenir cette personne d’une loyauté totale, prête à tout donner, pour pouvoir se fondre dans un système fait de concurrence et de performance. C’est alors qu’on devient un bon candidat au burn out…
"Cela a donc pris du temps. Mais quand le burn out m’est finalement tombé dessus, ce fut comme une déflagration. Un accident de la route. Ma colonne vertébrale s’est effondrée. J’étais cassée."
Je n’arrivais plus à interagir avec qui que ce soit. Je ne supportais plus aucune sollicitation. Moi qui ai jonglé toute ma vie professionnelle durant avec un nombre incalculable de personnes et de responsabilités, je n’avais plus désormais que 3 interlocuteurs : mon psy, mon coach de sport et ma mère. Ma première leçon de reconstruction, incompressible, ce fut celle du temps. Quand on devient comme une coquille vide, il est impossible de recomposer un visage humain en quelques jours. J’étais incapable de répondre à ces simples questions : qu’est-ce que je veux, qu’est-ce qui m’intéresse ? J’ai donc mis le travail de côté. Complètement. Et je me suis concentrée sur deux objectifs : me reconnecter avec mon corps, en pratiquant du sport, de la méditation. Et me reconnecter avec mes vraies envies. Je ne les connaissais pas. Bien sûr, je n’avais jamais vu un psy de ma vie. Comme tous les gens qui ne lâchent rien et qui dépassent les limites, j’ai toujours considéré cela comme une faiblesse. Là, j’étais au pied du mur, sans force.
Guérir et apprendre d'un burn out
Pour remonter la pente, il m’a fallu en passer par cet exercice inédit, plonger en moi-même, m’écouter. Analyser ce qui est important pour moi. Comment identifier un système qui me convient, qui fait sens pour moi ? Est-ce qu’il faut tout plaquer ? Aller vendre des confitures « maison » dans le sud de la Corse ? C’est tentant, quand on va très mal. Mais, alors que je m’écoute enfin pour la première fois, je sens bien que je ne suis pas à la recherche de cela. À ce stade, je n’identifie pas encore ce que je veux. Mais je commence à mieux cerner qui je suis ; je me passionne rapidement pour les mécanismes psychologiques et les problématiques d’addiction – l’addiction au travail, ma grande faille. Je découvre alors l’envers de mon décor. Mon esprit, ce junky, qui fonctionne à l’adrénaline, et qui me ment pour avoir sa surdose de boulot quotidienne. Toujours plus. Si je continue à l’écouter, il n’y a pas de système viable pour moi à terme, ni bonheur ni épanouissement possible. C’est ainsi que petit à petit, je prends du recul.
"Je décortique mieux comment j’en suis arrivée à ce niveau d’aveuglement, à me fondre tout entière dans les exigences hors normes de chez Goldman Sachs, la société la plus performante de la planète, dont le fonctionnement parfaitement efficace permet de tirer le meilleur des gens."
Et je ne veux plus qu’une seule chose : moi, Claire, pur produit Goldman Sachs, parvenir à tirer le meilleur de cette « expérience »…
Bien sûr, il faut rester humble. Je n’ai pas réussi du premier coup ! Ce serait évidemment trop facile... Mais je me sentais, au fur et à mesure, armée d’une meilleure connaissance de moi et de mon travers d’addict, de mon besoin absolu d’alignement, et je suis donc retournée à l’assaut. En me concentrant sur ce que le monde du travail avait à m’offrir à quelqu’un comme moi. Et je me suis trouvée très vite fascinée par les startups, cette façon d’être entrepreneur de soi-même, rapide, anti-système. Joie ! Voilà qui me correspondait bien !
Recommencer de zéro : bootcamp intensif au Wagon et Station F
Mais problème ! En France, le réseau est une culture rigide et fermée ; Si tu as fait un stage dans la finance, tu feras de la finance toute ta vie. Donc pour mettre un pied dans ce nouvel écosystème excitant, je suis rentrée à Paris faire un boot camp intensif au Wagon, pour apprendre à coder en quelques mois et me construire un tout nouveau réseau.
Toutes les planètes semblaient alignées, dans le meilleur des mondes. J’ai rapidement signé dans une startup, à Station F, avec le sentiment que c’était ultra stimulant. Avant de déchanter aussi vite. Les valeurs et la transparence prônées par la boite, je ne les voyais nulle part.
"Mes vieux travers reprenaient le dessus. Je m’étais laissée embarquée de nouveau, je cramais mon énergie dans le vide. En fait, cet « échec » fut une véritable révélation. Comme une nécessaire et dernière phase de gestation pour éclore enfin."
J’ai réalisé que – plus qu’un écosystème - je cherchais depuis toujours l’alignement parfait entre mes convictions, une mission qui fasse sens pour moi et ma force de travail. J’ai découvert que j’étais une locomotive, une entrepreneuse. C’était à la fois évident et incroyable ! Jusqu’ici, je me confortais dans un système hyper rationnel. Je ne me laissais pas rêver, j’étais atrophiée à ce niveau-là. C’était mon chaînon manquant, pour accéder à qui j’étais sous mon vernis de bonne élève, loyale et fiable. C’est en retrouvant cette possibilité de rêver, que ma nouvelle vie m’a alors happée d’un coup !
Le début de l'épopée Moodz : culottes menstruelles à impact positif
Après Station F, le temps s’est accéléré. Avec qui m’associer ? Pour quel projet ? Deux jeunes femmes, qui montaient une marque de mode, m’ont sollicitée. Elles étaient du genre terre à terre, moi, j’avais ce côté fonceuse. Ça pouvait fonctionner. J’ai commencé à travailler sur le business plan. Quand dans le même temps, j’ai rencontré Caroline Briant ! Cela faisait plus d’un an qu’elle travaillait sur Moodz, son projet de culottes menstruelles à impact positif sur la vie des femmes et de la planète, de la lingerie utile et belle. Elle avait cette même passion d’avancer très vite, de ne pas avoir peur. Fulgurant !
"En l’espace de 3 jours, j’ai bouclé le business plan, dit au revoir aux filles de la marque de mode et j’ai retrouvé Caroline Briant dans l’aventure Moodz. On ne s’est plus quittées."
Le reste de cette aventure, c’est quasiment du détail. Car quand on est aligné avec soi-même, il suffit de dérouler le fil. Nous nous sommes réparties les rôles avec beaucoup de confiance. J’ai pris en charge l’opérationnel, la partie financière et le digital. Caroline, spécialiste de la marque, sur les réseaux sociaux et les relations presse, a gardé la partie contenu. Pour le produit, on est main dans la main, je gère la production prévisionnelle des commandes et elle planche avec la styliste sur les collections, les fiches techniques, les matières.
D’emblée, j’ai voulu me montrer honnête sur qui j’étais, mon parcours, mes failles et mes besoins primaires, me préserver ; pour moi, une startup c’est un marathon de sprints, donc je devais poser un cadre pour ne pas déborder à nouveau, ne pas travailler tous les weekends et tous les soirs.
"Mon nouveau bagage de ces dernières années, c’est qu’on n’est pas que des esprits, et que le corps ne ment jamais. Je ne comptais pas laisser cette leçon de vie magistrale derrière moi maintenant."
Mais – paradoxe - si la glorification du travail mène droit dans le mur, et qu’on souhaite s’inscrire à rebours du mythe de la startup presse-citron, comment faire pour attirer les meilleurs talents, leur donner envie de donner le meilleur d’eux-mêmes ? Il nous fallait construire le sens profond de notre travail, l’adapter à l’échelle d’une entreprise et d’une organisation. Chez Moodz, on appelle ça aujourd’hui le Work in progress.
Équilibre au travail : être leader c'est montrer l'exemple
Donc j’ai posé d’emblée de saines limites : je prends toutes mes vacances, je pose le cadre d’une journée de travail avec un début et une fin. Je mets des process, garants d’équilibres. Et au fur et à mesure, on élargit le champs, vers plus de liberté, plus de confiance. Sur le télétravail, j’ai une approche très flexible. Il y a tellement de personnalités différentes, certaines ravies d’être chez elles, d’autres qui ont vraiment besoin d’un cadre plus formel, qui ne ressemble pas au weekend. Ce sont deux dynamiques. Notre but : réussir à travailler passionnément mais sans s’épuiser, en gérant chacun son autonomie, sa limite, en conservant de l’énergie pour soi.
Moodz et la fin du tabou des règles : le bon produit au bon moment
Moodz est arrivé sur le marché des culottes menstruelles, pile au point de rupture. On s’est senti portées par le sentiment hyper puissant de participer à une révolution active. Au moment où le tabou – tellement fort, depuis toujours, sur l’hygiène et sur les règles – est tombé d’un coup. Imaginez… Il a fallu plusieurs années, le scandale des tampons provoquant des chocs toxiques, la difficulté de certaines femmes à s’approprier les cup, et bien sûr le travail d’évangélisation de nos concurrents pionniers, sur des modèles plus basiques, pour que d’un coup, nos produits de lingerie utile deviennent une évidence. En un clin d’œil, la révolution était faite, et les femmes, converties en quelques mois à peine. Un vrai raz de marée, sur un marché en pleine croissance.
Le confinement comme accélérateur
Le premier confinement s’est révélé un véritable accélérateur business. Notre discours depuis toujours, c’était :« testez nos culottes menstruelles tranquillement chez vous. Car la crainte, c’est la fuite, a fortiori sur le lieux professionnels.
"Avec le 100% télétravail, beaucoup de femmes ont trouvé le temps d’adopter nos produits, chez elles, sans stress."
De plus, Moodz faisait partie des rares marques qui ont continué à livrer, on a basculé nos efforts sur la communication, le service client et la livraison.
En interne, le confinement a eu pour effet de renforcer la cohésion d’équipe, en rangs toujours plus serrés pour faire face aux défis quotidiens. Et dès la sortie du confinement n°1, on a recruté. Le chemin parcouru est inimaginable. Il y a un an, Moodz, c’était Caroline, moi et 4 stagiaires. Aujourd’hui, on est 26. Je suis hyper impressionnée par la jeune génération des 21-23 ans, qui ont posé les jalons de notre boite ! Leur jeunesse, leur enthousiasme, leur capacité à prendre du feedback, leur volonté de tout déchirer ! Aujourd’hui, on est rentables. Et notre question centrale c’est « comment peut-on être un média, une vraie voix, au-delà des culottes menstruelles, conserver notre idéal d’impact positif sur la vie des femmes et sur la planète ». Pour conserver ce sens si important, on fait don des lots de culottes légèrement défectueuses. Notre croyance, profonde, c’est que cette révolution doit bénéficier à toutes. »
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Un grand merci à Claire Schults pour nous avoir partagé son expérience du burn out, sujet ô combien important en ces temps tumultueux. Son histoire c'est aussi son "après", la guérison et comment il est parfois utile de déconstruire pour mieux construire.