18 millions d'élèves et pas un centime d'euros levé : l'aventure entrepreneuriale de Wilfried Granier
« Aujourd’hui, je me sens fier, chanceux, heureux.
Chez Superprof, nous sommes plus de 200 collaborateurs, dans 38 pays, nous proposons les services de 15 millions de professeurs dans 14 langues, plus de 1000 matières à 18 millions d’élèves, et tout cela, sans avoir levé un centime d’euro et sans qu’aucun collaborateur n’ait quitté l’aventure… Rien que de l’écrire, j’en ai un frisson.
Les débuts de Superprof : une aventure d'abord en solo
Bien sûr, je ne suis pas devenu un « dirigeant » du jour au lendemain. Mais je me suis sentis très vite « entrepreneur »… Après des études d’ingénieur informatique et quelques années de conseil chez KPMG et Ernst&Young, j’ai rapidement monté ma première boîte de pubs sur Internet en 2007, vendue en 2010. C’était le début de mon aventure en solo. Je suis tout de suite parti à l’assaut de l’immobilier parisien, en réhabilitant des appartements que je louais ensuite en meublés professionnels. Je n’étais pas mauvais - j’aime vraiment l’achat et la vente - mais quelque chose me manquait.
Les opérations immobilières ne demandent aucune intelligence, ni construction particulière. Ce n’est absolument pas stimulant. J’ai alors cherché quel produit me procurerait cette adrénaline qui faisait défaut. À l’époque, je m’intéressais beaucoup au modèle de Airbnb. Et je me penchais sur les cours particuliers, car je cherchais des cours de guitare sur le bon coin. Et je trouvais bien difficile de faire mon marché entre une annonce pour un camping-car ou un canapé. C’est alors que me vient cette idée d’une communauté de profs, triés sur le volet, avec un algorithme et une plateforme de partage de connaissances tous azimuts
"Je suis tout seul. Je cherche un nom. Cela me prend plusieurs semaines avant de trouver ! Puis, un matin, l’illumination : Superprof ! Je jubile."
Mais le nom est déjà pris. Je contacte le propriétaire, qui est d’accord pour me le vendre… 25.000 euros. Douche froide. Car il me le faut coûte que coûte : ce nom fonctionne partout, il est international et c’est aussi l’image que je veux renvoyer aux profs. Vous êtes la crème de la crème ! Donc je négocie à fond. Je propose 500 euros, lui me demande 24.500… Enfin, après un bon moment, on tope à 5.000 dollars. Vite, je dépose tous les .fr, .be, .uk, .it… Et je me retrousse les manches !
25.000 euros sur la table pour lancer la machine
En tant qu’ingénieur informatique, je sais écrire les algorithmes, même si je ne sais pas les coder. Donc, j’effectue seul un premier tri pour opérer un « classement » des profs, avec leurs qualités, les taux de réponse, la localisation pour permettre aux clients de trouver le prof parfait à deux pas de chez eux.
"Puis, je mets 25.000 euros sur la table, je fais appel aux services d’un développeur, d’un graphiste et d’un comptable et je lance la boîte."
Je me sens alors tout petit, incroyablement léger : je gère un projet worldwide, dans toutes les langues, comme un électron libre, sans aucun salarié. Que des prestataires…. C’était mon utopie de départ. J’avais l’impression de me libérer de toutes les contraintes.
Rapidement, Superprof.fr bénéficie d’un bon bouche-à-oreille. Et dans le même temps, je rachète deux sites français, pour brasser les données de plus de 20.000 profs et élèves. C’est le nerf de la guerre ! Celui qui gagne, c’est celui qui a la main mise sur la data. C’est la seule façon de faire une OPA sur tout le trafic. En ce sens, l’ergonomie du site de Superprof est entièrement pensée pour Google et non pour les usagers. C’est ce référencement poussé, allié à une bonne croissance externe, qui permet de nourrir et d’enrichir mon algorithme.
"Quand j’appuie sur le bouton en 2013, je suis loin de faire un banco. Mon premier chiffre d'affaires est alors de…27 euros. "
Mais je sais que je tiens un modèle économique original, qui me permet de rester libre de toute levée de fonds. Plutôt que de prélever une commission sur les enseignants (modèle de mes concurrents) - ce qui est une contre productif quand on veut séduire les meilleurs - Superprof demande des frais d’abonnement de 29 euros par mois aux élèves pour avoir accès à la plateforme, et aux professeurs de toutes les disciplines. Pour cette somme, un élève peut contacter et trouver autant de professeurs qu’il le souhaite : cours de diction italienne pour chanteur d’opéra lyrique, tango, cours de cuisine moléculaire ou de boxe. Il peut ainsi démultiplier les envies et les interactions.
Pour nous, ce système est doublement gagnant. D’un côté, le site est un canal gratuit pour les profs, qui leur fournit des élèves vraiment motivés sur un plateau d’argent. 0 touriste ! Les futurs élèves connaissent déjà le tarif et la localisation du prof avant de laisser leur empreinte de carte bleue pour le contacter. De l’autre, la recommandation active des enseignants qui adorent la plateforme nous a permis de « recruter » les meilleurs profils pour le site. En fait, on a inversé les rôles. Sur Superprof.fr, c’est à l’élève de se vendre. Et c’est le prof qui choisit. Enfin, plus les élèves évaluent leurs profs, mieux on cerne leurs envies, plus on crée de la donnée, et potentiellement, de nouveaux matchs ! C’est un système vertueux.
Faire de son concurrent son partenaire
Tout n’est évidemment pas si rose quand j’emploie mon premier salarié fin 2013. Mon concurrent, Cherche-cours.com, apparaît alors toujours en top des requêtes Google, avec 160.000 profs en base. Ce site, qui se fait rémunérer par les profs, me pose problème : il fournit gratuitement les informations que je fais payer à mes élèves ! J’approche donc son fondateur, Yann Léguillon, dans l’espoir de le racheter. Je lui écris un mail, puis deux. Je l’appelle. On se rate. Enfin, on arrive à déjeuner…
Et là, c’est mon double ! Comme moi, il a une passion pour les cours particuliers. Comme moi, il a eu une formation d’ingénieur (Arts et Métiers), comme moi il a fait du conseil (chez Capgemini), avant de monter son site. J’abandonne l’idée de le racheter et je lui propose immédiatement une association. Yann génère alors plus de trafic que moi. Mais il se rend compte que Superprof.fr arrive en force sur le marché. Il est tenté. Mais il hésite : il a prévu de faire le tour du monde dans l’année...
C’est ainsi que mon premier concurrent est devenu mon associé, et qu’un mois plus tard, il m’a fait la bise en me laissant les clés de la maison pour aller faire son tour du monde ! Quand j’y repense, c’est totalement fou !
"Peu après son départ, les chiffres frémissent enfin et grimpent à 6.000 euros de CA pour 700 élèves en France. Nous passons à 5 salariés."
L'ouverture à l'internationale
Dès son retour, nous attaquons le marché européen en commençant par notre pays préféré, l’Espagne. La difficulté pour le nouveau site espagnol : donner le sentiment d’une expérience très locale. Le site a donc été créé entièrement par des espagnols, avec des champs lexicaux espagnols pour être référencé par bario (quartier) et non par arrondissement. Notre première Country Manager espagnole - ancienne prof - a ensuite développé Superprof.es sur le même modèle que la France, en rachetant un par un les concurrents locaux (Don Professor) pour accélérer notre croissance. À chaque fois, nous avons mis sur la table plusieurs mois de chiffres d’affaires. En tout, depuis le début de l’aventure, nous avons racheté environ 15 concurrents. Le plus dur étant de faire l’acquisition des premières boîtes à 50.000 euros au début, plein pot, sans aides, sans prêt… Aujourd’hui, on a de bons volumes de trésorerie.
Tenir bon et faire face à l'adversité
Mais dans ce développement exponentiel, on a plusieurs fois frôlé la mort avec le coût énorme des locaux bail 3 ans, des recrutements, la moins-value d’un chiffre d'affaires décevant, l’épidermique question des mauvaises projections et les découverts en roue libre.
"Jusqu’à -500.000 euros en banque... Une expérience qui fait perler quelques gouttes de sueur froide sur la tempe, même si je suis d’un naturel serein et confiant."
J’ai eu, à l’époque, des conversations difficiles, notamment avec mon propriétaire. Nous voulions assumer ces découverts tout en continuant de payer les salariés, les banques, l’Urssaf… Tout le reste, nous l’avons négocié.
Alors, est-ce qu’on a pris des risques ? Oui ! Mais finalement pas si gros. Nous avons dépensé deux fois plus que ce que l’on gagnait, pour aller vite. Pour faire les choses en grand. C’était une course effrénée de rachats, d’ouvertures de pays. Sans pacemaker.
Et si on a réussi à ne pas sombrer, pour moi, c’est principalement grâce à la cohésion et la fusion de l’équipe. Dans cette guerre économique, avec des concurrents partout, nous étions sans armes financières pour combattre, pour supporter toute cette pression et faire grossir la société. Pour soutenir ce niveau de tension et résister, on s'est appuyé sur une base forte et solidaire. Ce fut notre seul levier fiable : une équipe petite et aguerrie, sans patrons, ni managers. Le plus difficile a été de recruter les 20 premières personnes, sans faire d’erreurs de casting. L’alcool nous beaucoup a soudés :D On a fait des nocturnes ensemble, bières et pizzas. Aujourd’hui, nous sommes 100 à Paris (200 en tout, partenaires et free en remote). Un petit miracle.
Et le management dans tout ça ?
Je ne suis pas dans l’excellence, je ne cherche pas à dire son fait à mon collaborateur, j’attends juste qu’il soit ultra motivé, qu’il veuille apprendre, faire preuve de créativité, de résilience, d’initiatives. Pour cela, je soigne notre environnement. Notre point de ralliement, c’est les bureaux. On en change tous les trois ans, on veut quelque chose de fabuleux. C’est notre endroit.
"Je soigne aussi la transparence, pour favoriser la confiance : chacun connaît le montant des salaires des autres. Selon son ancienneté, une « promo » a toujours le même salaire."
De mon côté, je veille à être sur le front avec les salariés, très tôt le matin, ou tard le soir, je veux être de toutes les galères. Nous n’avons pas de culture d’entreprise, mais je communique beaucoup, je fais des résumés de situations, des rétrospectives, je partage un maximum d'informations ; Enfin, nous distribuons des bonus de fin d’année pour que les salariés participent aux gains.
"Notre challenge permanent, c’est le recrutement"
On double d’effectif quasiment chaque année. Avec plus de dix personnes recrutées chaque mois, on doit résoudre des problèmes de forte croissance : les questions d’ onboarding à distance, de management, casser les modèles existants pour en trouver constamment de plus adaptés… C’est une course permanente contre la montre dans laquelle il faut à la fois se focaliser sur la rentabilité et sur le bien-être des équipes. C’est chronophage, énergivore. Et nécessaire. Le process ? C’est de continuellement s’améliorer : aujourd’hui on fait passer 4-5 entretiens à tous nos candidats, même quand on est sûr de les embaucher dès le début.
L'art de l'onboarding
On soigne toujours plus notre onboarding : le nouveau venu fait désormais le tour des différents pôles avant de s’installer à son véritable poste. On tire les leçons de chaque expérience ! Exemple ? Fini les bureaux en petits plateaux cloisonnés par étages, qui coupent les collaborateurs les uns des autres ! Maintenant, on prend du plein pied pour que tout le monde se voit, puisse communiquer en permanence. C’est ça, ma grande leçon. Tout, absolument tout s’apprend. Même et surtout de prendre soin des gens. »
Un immense merci à Wilfried Granier pour nous avoir partagé l'incroyable épopée de Superprof.
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