Bonheur au travail : nécessité ou utopie ?

Pour ces derniers, l’enjeu est de retrouver du sens en déplaçant le centre de gravité de la joie et l’épanouissement sur son lieu de travail, où on passe près de 80% de sa vie. Les entreprises, elles, ont compris que cette nouvelle quête rendait les employés plus motivés, plus engagés, moteurs de la marque employeur. Et sur le papier, ça fait rêver…

 

Mais problème ! Derrière cette vision quasi instagrammable, le bonheur au travail tend à devenir une nouvelle norme sociale. Une servitude même et qui pose un peu question. Sommes-nous donc obligés d’aimer ou de détester notre travail (de nombreuses personnes sont totalement indifférentes à leur activité ne prenant ni plaisir ni souffrance particulière) ? Ceux qui ne sont pas (si) heureux au bureau ont-ils raté leur vie professionnelle ? Le bonheur est-il une nécessité à notre équilibre ? Ou une nouvelle contrainte stressante et culpabilisante ?

Sagesse suprême ou supercherie managériale, on déconstruit le mythe avec vous…

Bonheurisme au travail : pourquoi on en a plein la bouche ? 

Vous l’avez peut-être remarqué : aujourd’hui, traîner sa tristesse ou son ennui au bureau, c’est limite honteux. Depuis la Startup Nation et le Covid, le bonheur au travail est devenu un véritable marqueur social et sociétal. Sur LinkedIn, des hordes de salariés affichent un épanouissement sans faille sur leurs attentes, le job “qui leur ressemble” (#mercivalériedamidot), leur (dream) team, leur boite. Comme s’il n’y avait plus aucun problème RH dans la vie. 

On lève forcément un sourcil ! Car le bonheur des uns peut-il être le bonheur des autres ? Par quelle formule magique - et surtout universelle - pourrait-on être tous aussi heureux au travail ? Et si oui, alors à quoi cela tient-il ? Est-ce matériel : de beaux locaux, une douche, un espace détente ou une salle de sport au travail ? La possibilité de venir avec son animal de compagnie ? Honnêtement, mystère.

De fait, le bonheur au travail est un magnifique mot valise, une super locution fourre tout, une promesse bien packagée et qui permet de recruter les candidats sans que les entreprises ne s’engagent sur grand chose pour de vrai. 

Pourquoi tant de bonheur : en vrai, parce que c’est hautement rentable !

Jusqu’ici c’est peu de dire que le bonheur était le cadet des soucis des entreprises. Pour ceux qui doutent, on se remet un petit Charlie Chaplin ? On lit Zola. Et plus proche de nous, on passe en revue les cargaisons de salariés débarqués de leur boite dans les années 80 par charrettes entières…

Certes, des salariés continuent de se faire larguer par leur boss sur Zoom. Mais avec l’apparition du concept de psychologie positive, les modèles managériaux évoluent doucement : ils privilégient désormais des théories basées sur l’autonomie, la confiance et le dialogue. Soit, les clés du bonheur… qui s’avèrent aussi être - c’est fou ! - de supers leviers pour la marque employeur et d’indéniables carburants de la productivité.

Fact n°1 : Un employé heureux est un employé productif… 

L’université de Warwick a réalisé plusieurs études qui montrent que : 

  • rendre des individus plus heureux par diverses actions a augmenté leur productivité de 12%,
  • des niveaux de bonheur moins élevés étaient liés à une productivité moindre, renforçant l’idée d’un lien direct entre bonheur et performance.

Depuis quelques années, exit donc le management par le bâton (soooo 1980’s), les entreprises ont compris que les employés heureux sont plus créatifs, fidèles et engagés. Et qu’ils citent fièrement leur boîte sur Google, Glassdoor, LinkedIn. 

En résultent des initiatives encore marginales mais qui tendent à se démocratiser, comme l’apparition dans le paysage RH de CHO (Chief Happiness Officers) dont la mission est d’améliorer le bien-être. Si le poste s’avère le plus souvent cosmétique  (ils ne traitent pas les causes du mal-être), il montre une prise de conscience côté RH. Ou encore depuis le Covid, la consultation des salariés sur leur organisation débouchant sur plus de flexibilité avec la mise en place du télétravail, ou la semaine de 4 jours…

Fact n°2 : Les employés heureux développent des compétences positives

En additionnant les moments de bien-être au travail, les collaborateurs renforcent leur confiance, leur estime de soi ainsi que la qualité de leurs relations. 

Dans ce contexte, ils sont plus enclins à développer des émotions positives, à être curieux, à apprendre, et à être fier de leur réussite. ll s’agit là encore d’un cercle vertueux où les employés heureux peuvent libérer leur créativité. Et ça, c’est bon pour l’entreprise.

Fact n°3 : Être heureux au travail ne vous rend pas heureux, mais y contribue fortement

On passe X% de sa vie au travail. Alors forcément, si on est heureux au boulot, ça aide un peu à être heureux dans la vie, quand bien même ça ne conditionne pas votre bonheur totalement. 

Si l’entreprise ne peut soigner les causes profondes du mal-être d’un salarié, elle a en revanche le pouvoir de mettre en place les bonnes conditions pour qu’il s’épanouisse sur son lieu de travail. Grâce à la reconnaissance des pairs, au sentiment d’être utile, de faire une tâche qui a du sens, le tout dans des conditions …. Pouvoir grandir, s’épanouir et développer une vision positive de soi-même. Bénéficier d’égo boost. 

 

Fact n°4 : L’argent ne fait pas le bonheur (enfin, surtout au dessus de 80K de salaire)

A partir de ce seuil, un euro en plus devient moins important que le bonheur lui-même.

Pourtant, si le bonheur semble une quête bien légitime pour l’employé comme pour l’employeur, à trop en faire, il peut s’avérer une pression nuisible. Une passion triste. L’enfer est parfois pavé de bonnes intentions…

Les marchands de bonheur en entreprise, entre dictature et imposture  ! 

Il est où le bonheur… Les RH ou les influenceurs en développement personnel n’ont plus que ce mot à la bouche, faisant passer le bonheur cultivé, théorisé, à un véritable business, des livres, des formations en développement personnel. En société et au travail, le bonheur est devenu en quelques années à peine une injonction. Une idée normée qui ne correspond plus à rien de concret.

Pour cette industrie du bonheur, qui brasse des milliards d’euros, les individus ont le pouvoir (et même le devoir ?) d’annihiler leurs sentiments négatifs, de tirer le meilleur parti d’eux-mêmes en contrôlant totalement leurs désirs improductifs et leurs pensées défaitistes.

Richesse, pauvreté, joie, tristesse, succès, échec, santé, maladie seraient de facto de notre seule responsabilité. Dans ce culte de l’optimisme payant - et limite sectaire - seule la réalisation de soi par la performance compte. Élargissant ainsi le champ de la consommation à notre intériorité, faisant des émotions des marchandises comme les autres… Un capital affectif à faire fructifier.

Le happy washing (is the new green washing) : l’art de faire croire que les salariés sont heureux

Fake it until you make it. On connaît tous ce mantra de startup. Sentant le bon filon, les entreprises de tous poils ont donc sauté sur la nouvelle tendance du bonheur au travail pour valoriser leur marque employeur, mais sans toutefois mettre en place de véritables actions concrètes.

Nouvelle machine à café option cappuccino, table de ping pong ou (éternel) babyfoot… In real life, certaines mesures  tiennent davantage du divertissement que de l’épanouissement. 

Cet appât à futures recrues constitue en réalité aujourd'hui un risque accru de perte de crédibilité et de désengagement quand l’écart entre la communication d’entreprise et la réalité des conditions de travail est trop grand. Et si l’entreprise ne s’engage pas clairement par une vision et des faits sur son idée du bonheur au travail. 10 ans de startup Nation souriante avec un bonheur de performer chevillé au corps se sont ainsi retrouvés cloués au pilori après des révélations de l’intérieur publiées sur le compte explosif de @balancetastartup en janvier 2021. Trop souvent, pour beaucoup de startups, le fun au travail est une bonne excuse pour payer alternants, stagiaires et juniors au lance pierre tout en leur donnant des responsabilités de seniors.

Le bonheur au travail, le vrai, est en effet encore anecdotique. Selon une étude de Weber Shandwick, 16% des salariés français estiment que la marque employeur de leur entreprise ne reflète pas la réalité et 43% n’ont pas d’avis. Seulement 14% des sondés affirment que leur expérience est en totale adéquation avec les messages véhiculés… 

Vous l’aurez compris, simuler n’est pas jouer. 

Happycratie, la nouvelle religion du bonheur au travail

« Kratia en grec, c’est le pouvoir. Happycratie, c’est le pouvoir par l’injonction au bonheur », résume Eva Illouz, co autrice de Happycratie : comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies. Le livre met en garde contre les effets pervers d’une société du bonheur érigé comme religion. Et appelle à quitter l’obsession égocentrique de l’amélioration de soi, à combattre la tyrannie de l’optimisme à tous crins – des smileys, des « chief happiness officers », des hashtags #happyatwork, jusqu’aux instituts de développement personnel.

Pour l’autrice, une dictature du bonheur - société qui fait du bonheur sa valeur cardinale - façonne des individus si soucieux de leur moi, de corriger chaque défaut psychologique pour toujours mieux se transformer et s’améliorer, qu’ils en viennent à se détourner du collectif, du soin aux autres, et de l’intérêt commun. On l’aura compris, l’appétence pour le bonheur se nourrit du terreau fertile de l’individualisme… De la conviction que le destin est une simple affaire d’effort personnel et de résilience. 

Résultat : la quête incessante du bonheur fait naître de nouvelles formes de frustration, notamment chez la nouvelle génération, touchée, comme le montrent de nombreuses études – notamment aux Etats-Unis – par de nouvelles formes de mal-être et d’insécurité. Une armée de citoyens persuadés de n’être jamais assez heureux…

Mais à qui profite le crime du bonheur, exactement ?

Selon Julia de Funès, philosophe, le concept de bonheur au travail n’est qu’une pirouette visant à nous faire croire que le travail est un élément essentiel du bonheur et non pas un état passager qui dépend d’autres personnes que celles du contexte professionnel. 

Elle observe notamment une corrélation directe surprenante entre l’accroissement du thème du bonheur en entreprise et… l’augmentation des risques socio-professionnels. 

L'obsession du bonheur tenterait donc de masquer les insatisfactions, voire mal-être des salariés. L’idée que le travail serait une source d’épanouissement et de bonheur empêcherait ceux qui ne sont pas heureux de prendre la parole par peur de paraître déviants ou ‘flemmards’. C’est le nouveau “Sois heureux et travaille”.

 

Finalement, le bonheur au travail ça tient à quoi ? Les vrais indicateurs du bonheur au travail 

D’après l’étude Parlons travail menée par la CFDT, il existe trois leviers majeurs de bonheur au travail : 

  • Une charge de travail raisonnable qui correspond aux temps et moyens mis à sa disposition. 

Si le bonheur se trouve (parfois) au travail, il n’irradie certainement pas dans des textos envoyés après 20h ou encore un dimanche midi, ni dans des OKRs hors sol. C’est ainsi que la mise en place d’objectifs précis et mesurables permet à chaque individu de répartir correctement sa charge de travail. Et de profiter de moments de repos non disruptés. Burn out et bonheur ne font pas bon ménage…

Enfin, cela sous-tend une charge répartie équitablement entre les collaborateurs. Une vigilance accrue au taux de turnover - un bon indicateur de la satisfaction des salariés et qui est source de surcharge pour les collaborateurs restants. 

  • De bonnes relations avec ses collègues 

Au travail, le bonheur en fait, c’est surtout les autres (#sorryjeanpaulsartre).

Le lien social est un ingrédient clé pour le bien-être des salariés comme l’indique l’étude OpinionWay pour Microsoft France. Une donnée qui s’avère encore plus vraie pour les 18-25 ans. 

Le fit, le partage des valeurs, une culture d’entreprise authentique et bon esprit sont des composants essentiels du bonheur au travail, à cultiver avec amour en interne. A contrario, les conflits entre collaborateurs, le management à la schlag, très mauvais pour le climat social de l’entreprise, sont à bannir.

 

  • Une certaine autonomie pour que le travail ne soit pas assimilé à celui d’une machine et laisser une bonne place à la créativité.

Sans confiance, il n’y a pas d’autonomie possible. En leur offrant plus de liberté, les collaborateurs se responsabilisent et s’engagent davantage dans les projets.

En plus de favoriser le sentiment de bien-être et d'intégration sur le lieu de travail, l’autonomie contribue largement à faire baisser les menaces sociales et psychiques sur les salariés. Les entreprises qui acceptent de donner plus d'autonomie à leurs collaborateurs finissent bien souvent par gagner en performance et en agilité. 

Développer l’autonomie des collaborateurs, c’est aussi encourager la prise de risque, admettre le droit à l’erreur, permettre d’explorer des possibilités hors de sa zone de confort. C’est en essayant qu’on apprend. 

 

Conclusion… La question n’est peut-être pas “Suis-je heureux au travail ?” mais plutôt “Mon travail répond-il à mes drivers principaux et m’assure-t-il un confort de vie matériel et mental ?”

Pour tenter d’y répondre, Ignition Program a développé un nouvel outil :  "L'Indicateur d’Expérience Salarié" qui permet de mesurer les écarts entre ce que serait un job idéal et ce que l’on vit au quotidien. Et trouver les clés de son épanouissement en changeant de boîte, de poste ou de type d’organisation. 

Smiling inside !

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